Les
arts traditionnels ivoiriens comptent parmi les plus riches
d ‘Afrique. Rien ne peut en donner une meilleure idée qu’une
visite du Musée national de la Côte d’Ivoire, à Abidjan, où
sont présentés les plus remarquables spécimens de sculpture
sur bois, de poterie, de tissage, de fonte à la cire perdue
ou de bijouterie provenant de toutes les ethnies.
Depuis longtemps, l’Occident apprécie la beauté formelle de
l’art nègre. Pourtant il semble qu’il y ait à la base de cette
admiration un malentendu profond. Si une ou plutôt des civilisations
ont accordé la primauté à la fonction sur la forme, ce sont
bien les civilisations noires, et en particulier celles de la
Côte d’Ivoire. En effet, la vie toute entière et dans toutes
ses manifestations est sous-tendue par une conception mystique
et unificatrice du monde. Aussi la beauté n’est-elle jamais
recherchées pour elle-même : elle est atteinte parce qu’il y
a un accord fondamental entre la pensée religieuse et l’objet
chargé de l’exprimer ou de la servir, qu’il s’agisse d’ustensiles
relativement humbles ou de ces importants supports de la liturgie
que sont les statues et les masques.
Masques & Statues
Statues et masques ont un double but. Ils exercent une action
propitiatoire à l’égard des puissances bénéfiques (génies, ancêtre,
dieux secondaires), qui sont des intermédiaires entre l’homme
et une déité diffuse dans l’univers. Mais ils peuvent aussi
éloigner les puissances du mal toujours prêtes à nuire et même
à tuer. Le masque en particulier ne désigne pas seulement ce
qui dissimule visage mais tout le corps du participant initié
qui le porte et dont l’incognito doit être préservé. Il ne fait
alors plus qu’un avec ce dernier et incarne le temps de la cérémonie
une puissance surnaturelle spécifique dont il est sacrilège
de provoquer la présente à n’importe quelle occasion. Il existe
pourtant aussi des masques de réjouissances l’égard desquels
on n’éprouve pas le même respect et surtout le rôle du masque
et des identités varient avec les différentes ethnies, de même
que son aspect.
A part quelques exceptions, les ethnies de la Côte, vivant en
milieu ouvert sur le large, soumises depuis plusieurs siècles
aux influences étrangères et notamment chrétiennes, ne se servent
pas de masques. Cependant, les petites statuettes d’ancêtres
ou de divinités mineures se rencontrent fréquemment, notamment
dans les groupes habitant à l’Est d’Abidjan.
Les forêts, aux horizons fermés, pleines de bruits inquiétants
et de présences invisibles, semblent livrées à des forces occultes
dont il est facile d’imaginer la malveillance. Dans Ouest, elles
ont provoqué, chez les maîtres du genre que sont les Guéré,
une floraison de masques où est systématisée la recherche de
l’horreur. Car ils sont chargés de catalyser les forces négatives
pour en changer le signe. Pourtant, dans une région analogue
à celle des Guéré, les Dan ont au contraire crée des masques
d’une pureté, d’un dépouillement et d’une sérénité extraordinaire.
En tout cas dans Ouest, les statues ont laissé toute la primauté
aux masques et ne figurent que dans les cultes domestiques intimes,
et n particulier chez les Dan et les Bété.
Au fur et à mesure que l’on se rapproche du Nord-Ouest, c’est-à-dire
de l’aire d’influence des Malinké musulmans, le règne du masque
diminue pour disparaître complètement, puisque l’islam interdit
toute représentation humaine.
En se dirigeant au contraire vers le centre, on continue à trouver,
chez les Gouro, puis chez les Yaouré, un emploi préférentiel
du masque, mais, comme chez les Dan, celui-ci s’apaise, s’affine,
évoque des entités bienveillantes.
Encore plus au centre, les sculpteurs Boulé sont plus connus
pour leurs statuettes de petite taille. Celles-ci représentent
les ancêtres et sont utilisées dans les cultures familiales
ou constituent un support du culte de fécondité et reçoivent
des sacrifices. Cependant les Baoulé créent aussi des masques
tantôt représentant des visages aux traits fins beaux, détendus,
tantôt assez lourds et chargés de motifs allégoriques plus dramatiques.
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